Récital Haendel
Renée Fleming, soprano
Orchestra of the Age of Enlightenment
direction : Harry Bicket
1 CD Decca 475 6186
Voilà un disque qui, de plusieurs manières, illustre la situation actuelle du mouvement baroque, dont l'élément principal est, ces dernières années, un retour en force des grandes voix dans le répertoire de l'opera seria, en particulier dans la production névralgique de Haendel. Les années 1980 et le début des années 1990 ont vu fleurir nombres d'enregistrements des chefs-d'oeuvre de Haendel confiés au bon soin de petits formats vocaux, défricheurs inlassables dont on ne saurait assez louer le travail exploratoire, mais qui laissaient les amateurs de plaisirs vocaux sur leur faim.
L'entrée progressive des Giulio Cesare, Rodelinda ou autre Alcina dans les grandes maisons d'opéra imposèrent l'utilisation de gabarits plus consistants, politique dont le présent enregistrement est l'une des matérialisations récentes – il accompagne visiblement la prise de rôle de Renée Fleming en Rodelinda au Met.
En soi, il ne constitue pas une surprise : la belle Renée est une des rares Alcina disponibles au disque – chez Erato, avec les Arts Florissants, captation live effectuée dans la foulée des représentations du Palais Garnier. Mêmes constatations à l'arrivée : la substance vocale unique de la chanteuse américaine fait évidemment merveille, mais une telle opulence ne suffit pas à cacher l'inadéquation relative à ce répertoire.
Il serait injuste d'interdire à de telles natures la fréquentation du répertoire baroque, mais il convient aussi de rappeler que l'arsenal technique et expressif impliqué nécessite une pratique assidue, sans compter des limites plus spécifiques à la soprano. Ainsi, le Scoglio d'immota fronte de Scipione est moins étourdissant qu'on ne l'attendait (les cocottes n'ont jamais été le point fort de Fleming, et les trilles, si important dans cette musique, se confondent avec le vibrato), et le Da tempestate de Giulio Cesare pas plus allègre que cela.
La cruelle concurrence de Sandrine Piau
Le disque récent de Sandrine Piau chez Naïve est à cet égard une concurrence cruelle. Les pages plus lyriques telles que V'adoro pupille sont mieux défendues, mais au final, ce sont les passages dramatiques qui se révèlent les plus pertinentes : le Ah crudel ! de Rinaldo montre une Armida poignante – quelques ports de voix malvenus déparent cependant un peu le tableau. A bien réfléchir, ce qui fait surtout défaut, c'est cette impression de naturel que l'opera seria – et tout l'opéra italien, à vrai dire – demande : l'art qui se cache derrière l'art, mais ici la manière même, suprêmement sophistiquée, de Fleming est en cause.
Signalons que l'accompagnement de Harry Bicket à la tête de l'Age des Lumières n'est en rien indigne, soutenant parfaitement la diva, mais ne prodiguant pas non plus ces couleurs ineffables qu'on entend ailleurs. Au final, un enregistrement réservé avant tout aux amoureux de Renée Fleming – et à la chanteuse elle-même, car nous croyons sans peine à ses propos lorsqu'elle confie dans la notice l'endless pleasure qu'elle a retiré de cet exercice.
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