Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie n° 5 en sib majeur
Version originale de 1878
Münchner Philharmoniker
direction : Christian Thielemann
enregistrement live d'octobre 2004
CD Deutsche Grammophon 00289 477 5377
Christian Thielemann n'a vraiment pas froid aux yeux. Pour son concert d'investiture à la Philharmonie de Munich, il programme sans gêne et sans peur la 5e de Bruckner, l'une des symphonies fétiches et des plus grandes réussites de son prédécesseur Sergiu Celibidache, considéré par certains comme LE spécialiste intersidéral de Bruckner. Le risque était grand, la réussite l'est presque autant, et cette nouvelle 5e ne souffre que de la parution au printemps de la version absolue des Wiener Philharmoniker et Nikolaus Harnoncourt.
Une petite mise en garde toutefois, la direction de Thielemann est très intimidante et pourra refroidir plus d'un auditeur tant elle n'a d'yeux que pour la charpente et la grandeur, tant son allure marmoréenne sonnera glaciale aux amateurs d'un Bruckner analytique et pénitent (Harnoncourt), chaleureux (Wand, Jochum), ou dionysiaque (Furtwängler).
Ici, pas une ébauche de sourire ou de tendresse mais un monument hautain, aux frontières de l'inhumain, au sein duquel la seule émotion palpable naît d'un sens de l'indicible dans les moments d'écriture les plus mystiques du Finale ou dans la grandeur épique des péroraisons. Les quelques moments où le chef ose un rubato de tradition typiquement germanique sont renversants – à l'image du deuxième thème de l'Adagio (à 2'52), ou de la retenue dans l'énoncé du choral du Finale aux cordes, (à 8'46) magique et parsifalien, posé avec une infinie douceur dans la lumière opalescente d'un Graal encore en sommeil.
Tout le sel de cette version réside dans son tour de force orchestral, sa perfection formelle, qui confirment que le Münchner est l'un des plus beaux instruments brucknériens du moment, prodiguant sous la battue imperturbable de Thielemann une instrumentalité impressionnante et l'une des plus magnifiques codas du Finale qui soit, chauffée à blanc et d'une violence parfaitement maîtrisée – des cuivres souverains –, moment de grandeur épique à nul autre pareil.
Ce qui manque à cette 5e pour se hisser au niveau des plus grandes ? Des arêtes plus vives, des plages plus tranchantes dans les embardées des développements – les chocs orchestraux (à partir de 14' du premier mouvement) bien maigres en comparaison de ceux d'Harnoncourt. Mais la véritable limite d'une conception aussi granitique est son Scherzo gras et frôlant le contresens : lourdingue mais sans couleur paysanne, dénué de toute teinte haut-autrichienne.
Reste le culte de la lenteur prôné par Thielemann dans la notice, dont ne s'offusquera guère, surtout après les célestes langueurs du messie Celibidache.
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