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SELECTION CD |
26 avril 2024 |
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Richard Wagner (1813-1883)
Tristan und Isolde, action dramatique en trois actes (1865)
Livret du compositeur
Placido Domingo (Tristan)
Nina Stemme (Isolde)
Mihoko Fujimura (Brangaene)
René Pape (König Marke)
Olaf Bär (Kurwenal)
Jared Holt (Melot)
Ian Bostridge (Der Hirt)
Matthew Rose (Der Steuermann)
Rolando Villazon (Der Junge Seeman)
The Royal Opera Chorus Covent Garden
Orchestra of the Royal Opera House Covent Garden
direction : Antonio Pappano
3CD + 1DVD EMI 5 58006 2
Le DVD permet de suivre l'intégralité de l'enregistrement avec défilement du livret.
Comme pour la majorité des opéras de Wagner, il n'y a guère de mauvais enregistrements de Tristan et Isolde. Chacun a ses qualités et défauts, les premières dominant plutôt chez les uns, les seconds chez les autres. Une référence ? Sans doute l'éternel Furtwängler-Flagstad-Suthaus, avec le tout jeune Fischer-Dieskau en Kurwenal. Une approche inégalée par l'adéquation des voix et surtout l'indiscutable et profonde vérité de la direction d'orchestre. Et bien sûr, il y a aussi la version Carlos Kleiber, autre repère dans la lecture orchestrale, géniale, magistrale.
Pour les amateurs de live, il faut avoir entendu les versions de Bayreuth : celle, incendiaire, de Karajan en 1952, avec Mödl, Vinay, Hotter ; celle de Jochum en 1953, avec Varnay, Vinay, Malaniuk, Neidlinger et Weber. Historiques ! Mais il ne faudrait pas oublier non plus l'électrisant Böhm avec le couple absolu des années 1960 : Windgassen et Nilsson, mais aussi l'insurpassable Brangäne de Christa Ludwig. Chaque grande version est le témoin d'un moment dans l'histoire de l'interprétation et des voix wagnériennes, avec les Isolde légitimes : les Nilsson, Mödl, Traubel, puis les plus légères comme Margaret Price ouvrant une ère nouvelle, et enfin les « folies Karajan » comme Helga Dernesch.
Sur scène, il y en eut bien d'autres, ne serait-ce que Gwyneth Jones, sans doute l'ultime vrai grand soprano dramatique, ou encore une émouvante et musicale Ingrid Bjöner. Aujourd'hui, Waltraud Meier s'est hissée vers l'élite aux côtés, d'abord à Bayreuth, d'un Siegfried Jerusalem en pleine maturité, puis, à Paris la saison dernière, d'un Ben Heppner à la voix parfaite, à la musicalité sans reproche, pourtant un rien trop lisse.
Patchwork de célébrités
C'est dire l'intérêt que suscite forcément cette nouvelle parution EMI qui réunit un étrange patchwork de célébrités anciennes et nouvelles, et qui laisse parfois perplexe. C'est le cas de Rolando Villazón, égaré en jeune marin, enregistré si loin qu'on ne reconnaît guère sa voix. C'est aussi dans une certaine mesure celui de Ian Bostridge en Pâtre, un autre luxe parmi les artistes du label rouge. Également assez inadéquat et terne se révèle le Kurwenal d'Olaf Bär. Est-ce en souvenir de Fischer-Dieskau que l'on a confié le rôle à ce magnifique interprète de Lieder ? Étrange
Certains considèrent la Japonaise Mihoko Fujimara comme la Brangäne du moment. On peut aussi lui trouver la voix bien trop mince et trop claire, ne faisant aucun contraste avec celle d'Isolde et manquant totalement de présence dramatique. Somptueux roi Marke en revanche, avec un René Pape débordant de musicalité, de chaleur et d'autorité, qui nous conduit au niveau supérieur, celui des deux principaux protagonistes.
Nina Stemme est entourée de la plus flatteuse réputation, couverte de mille éloges, situation dangereuse s'il en est. La voix est incontestablement de fort belle qualité, claire, facile dans l'aigu, moins aisée et présente dans le médium. La partition est domptée, même si la matière vocale n'a rien à voir avec celle des grandes de jadis. L'interprétation est néanmoins pleine de fougue, de vie, menée par une analyse du personnage d'une brillante intelligence. On ne fait pas mieux aujourd'hui, sauf peut-être Meier dans ses bons jours, et encore que le deuxième acte donné à Lucerne en version de concert par Violeta Urmana en 2004 ait affiché une adéquation vocale nettement plus vertigineuse.
La révélation du Tristan de Domingo
Mais la grande révélation est le Tristan de Placido Domingo. Une splendeur ! Ses excellents Siegmund ne nous avaient quand même pas préparés à pareille réussite. La particularité du timbre se révèle même un atout par sa chaleur, son humanité, sa toujours aussi rayonnante beauté. Et puis, quelle approche magistrale de tous les aspects du personnage, d'une manière qui semble simple, spontanée. Même le si difficile troisième acte est dominé avec un élan et une sincérité qui bouleversent. Que dire de plus ? Que c'est très probablement l'un des plus beaux Tristan qui se puisse, sans pour autant reprendre la tradition des illustres Melchior, Lorenz ou Windgassen. Le Tristan de notre temps !
Reste le cas de la direction d'Antonio Pappano, homme de théâtre plus que métaphysicien. Rien à reprocher aux tempi, aux accents, aux équilibres ou aux couleurs, mais l'ensemble n'a aucune personnalité particulière et n'apporte aucun éclairage inconnu sur la partition. Du bon travail de professionnel, sans ivresse. C'est quand même un peu dommage !
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GĂ©rard MANNONI
Les beaux jours du CD d'opéra
A l'époque où la suprématie de l'image entraîne une raréfaction des enregistrements d'opéra en studio et l'explosion du marché du DVD, comment ne pas encourager EMI, qui vient d'éditer un nouveau Tristan tout à fait honorable, à poursuivre ses efforts dans une voie en déshérence ?
Saluons d'emblée le courage du label rouge à éditer un nouveau Tristan de pur studio sur CD en 2005. Car l'oreille est bien plus exigeante quand l'œil n'est pas sollicité, et il aurait été facile de délaisser ce projet au profit d'une quelconque captation DVD où la force des images enroberait jusqu'aux lacunes vocales des protagonistes.
Deutsche Grammophon avait déjà pris le risque du CD en 2004, par le biais moins coûteux mais plus risqué du live. Mais là où la production de Thielemann et Krämer à Vienne avait laissé le meilleur souvenir possible en salle, l'enregistrement ne fait que souligner ses défauts : la magnifique Isolde de Deborah Voigt s'y avère toujours aussi peu phonogénique, et de l'émouvant Tristan de Thomas Moser ne demeure que l'usure. Seule la direction de Thielemann, avec un rien d'enlisement dramatique à la fin du II, a réussi à franchir avec succès le cap de la galette numérique.
Le nouveau Tristan confié à Antonio Pappano se place d'emblée nettement plus haut dans la discographie, si l'on occulte un visuel de cinéma à mi-chemin entre le Seigneur des Anneaux et Un long dimanche de fiançailles. Il y manque principalement la présence d'un grand wagnérien au pupitre. Le chef britannique accompagne les chanteurs avec attention mais sans génie, sans les intuitions foudroyantes de Kleiber, le sens de l'arche de Furtwängler ou Thielemann, l'électricité de Böhm. Du beau travail, enveloppé de routine, dont seul le troisième acte réussit à décoller à l'orchestre, transcendé par un ténor sublime.
L'un des Tristan les mieux chantés
Car avant tout, cette nouvelle version vaut pour le Tristan magistral de Placido Domingo. La beauté et la jeunesse du timbre – la voix sonne aussi juvénile que celle de sa partenaire, qui a pourtant presque la moitié de son âge –, l'engagement sans intellectualisme, un allemand beaucoup moins contestable que le veut la légende, un souffle parfaitement géré sont au service d'un des Tristan les mieux chantés de l'histoire du disque. Qu'importe alors une certaine tension dans les aigus les plus périlleux du rôle quand le matériau et l'incarnation sont d'une telle splendeur.
Au disque, l'Isolde de Nina Stemme nous paraît mériter plus largement ses éloges qu'à Bayreuth cet été, où, certes peu aidée par un tâcheron de la baguette, elle nous avait laissé de marbre. À l'audition de ces sessions d'enregistrements de novembre 2004 et janvier 2005, nous continuons à penser que le format est trop juste au II, malgré des moments d'une singulière beauté.
Une Isolde plus incarnée qu'en scène
En revanche, paradoxe, le rôle vit au disque d'une toute autre matière dramatique, notamment dans la Liebestod, cette fois seulement altérée en sa conclusion par des soucis techniques – le dernier aigu qui vrille et s'envole au quart de ton ; un Höchste Lust affublé d'un pénible hululement. Mais à notre époque de vaches wagnériennes bien maigres, réjouissons-nous de ce timbre corsé, de cet aigu facile, de cette tenue sur l'ensemble de l'opéra, en attendant la prise de rôle sur scène de Violeta Urmana.
Et qu'importe une Brangäne trop légère et piètre germaniste en dépit d'une beauté de timbre bien réelle ; qu'importent aussi un Kurwenal d'opérette, franchement trop clair ; un Villazón sans rêve en jeune marin ; un Bostridge en Pâtre docteur ès maniérismes quand on dispose du roi Marke orgueilleux et olympien de René Pape !
Car ce Tristan qui affiche un couple parmi ce qui se fait de mieux aujourd'hui s'apprivoise comme un tout et vient affirmer haut et fort que l'opéra en studio a encore de beaux jours devant lui.
Yannick MILLON
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Un Tristan d'aujourd'hui | |
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