Titus dans la paranoïa terroriste |
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
La Clemenza di Tito, opera seria en deux actes (1791)
Livret de Caterino MazzolÃ
Michael Schade (Tito)
Dorothea Röschmann (Vitellia)
Vesselina Kasarova (Sesto)
Barbara Bonney (Servilia)
Elina Garanča (Annio)
Luca Pisaroni (Publio)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Nikolaus Harnoncourt
Enregistrement : Felsenreitschule, Salzburg, 08/2003
2DVD TDK DVWW-OPCLETI
Dans le cadre idéalement sombre du Manège des rochers de Salzbourg, le metteur en scène autrichien Martin Kušej, bien plus inspiré que pour son Don Giovanni de l'été précédent, situe en 2003 la Clémence de Titus dans un bunker en béton et l'urgence d'une atmosphère post-11 septembre, brillante métaphore de l'exacerbation politique et de l'instabilité mondiale, mais aussi parfaite illustration de ce que peut être une actualisation intelligente.
On pourra éventuellement reprocher une certaine tendance au spectaculaire – l'explosion de la fin du I, pourtant conséquence logique du pari initial – ou au systématisme – le fétichisme pour les sous-vêtements – mais on serait bien en peine de trouver direction d'acteurs plus aboutie, moins laissée au hasard – un Titus rongé par la peur de l'attentat, le mélange de détermination et de fragilité de Vitellia, l'existence inédite de Publius.
Au-delà des incontestables atouts de la mise en scène, cette Clémence vaut pour l'excellence de sa partie musicale. Vesselina Kasarova est un Sextus survolté, incandescent, une torche vivante à l'aigu dévastateur, qui s'engage corps et âme en faisant oublier sans peine des registres hétérogènes. Michael Schade, autre figure marquante, est un Titus paranoïaque et psychotique, trouvant toujours des accents caméléons dans une vocalité peu italienne, assez proche du tenore di grazia viennois, un rien en péril toutefois dans un Se all'impero chanté à quinze mètres au-dessus du vide, après avoir gravi deux séries d'escaliers au pas de course.
Dorothea Röschmann brûle les planches en Vitellia suicidaire, couleur et tempérament de braise, technique pas toujours maîtrisée – un aigu fluctuant – mais nettement plus en place que lors de la représentation à laquelle nous avions assisté. Hormis la Servilia moyenne, piètre comédienne de Barbara Bonney, le reste du plateau est, comme souvent à Salzbourg, de luxe, confirmant en Publius les espoirs suscités par Luca Pisaroni ; dévoilant à la scène internationale l'Annius charnel et androgyne d'Elina Garanča.
Rubato et reconversion
Nikolaus Harnoncourt défend à la tête des Wiener Philharmoniker une lecture aux frontières de l'indéfendable, comme vécue au ralenti, parsemée d'arrêts sur image, de silences, qui selon l'humeur paraîtront tantôt saisissants tantôt agaçants, mais qui vont parfaitement dans le sens de la partie scénique, entre noirceur et interrogations. Restent évidemment l'art analytique, le sort fait à chaque inflexion, que le chef autrichien pourrait justifier sans jamais être pris en défaut, ce rubato plus important que chez un Furtwängler, cette pâte sonore « classisée » qui, malgré un travail rhétorique ne laissant rien au hasard, frôle la reconversion.
Dans le cadre du projet Mozart 22, Unitel a filmé cet été l'intégralité des productions mozartiennes données à Salzbourg, et devrait commercialiser à l'automne une captation de la reprise de cette Clémence. Mais il y a fort à parier que cette première mouture que propose TDK restera davantage dans les mémoires comme un spectacle obsédant, jamais anodin, fort comme un poison.
| |
|