Langrée vaut bien une messe |
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Messe en ut mineur « Grande Messe » KV. 427/417a
Natalie Dessay, soprano I
VĂ©ronique Gens, soprano II
Topi Lehtipuu, ténor
Luca Pisaroni, basse
Le Concert d'Astrée
direction : Louis Langrée
Enregistrement : 2006
Version standard CD Virgin Classics 359 309 2
Version luxe CD + DVD 359 305 2
On a beaucoup – trop ? – enregistré la Messe en ut mineur à l'occasion du 250e anniversaire de la naissance de Mozart, sans qu'aucune de ces tentatives ne vienne inquiéter les références, la lecture d'Helmuth Rilling (Hänssler) ayant sur celles de Paul McCreesh (Archiv) et Emmanuel Krivine (Naïve) l'avantage musicologique de proposer la version complétée par Robert Levin. Mais quels que soient leurs mérites respectifs, aucune de ces interprétations ne peut rivaliser, tout au moins en prestige, avec le plateau de stars réunies autour de Louis Langrée par Virgin Classics.
D'une présence et d'un rayonnement vocal inouï sur l'ensemble de l'ambitus du soprano I, Natalie Dessay sacrifie trop souvent, au-delà même des excès de portamento, de rubato et de vibrato d'un style douteux, la pureté instrumentale à l'expressivité, par un processus purement théâtral d'incarnation du texte liturgique, et peut-être même d'identification à l'épouse-créatrice Constance Mozart.
Plus rigoureuse, mais prudente jusqu'à la raideur, Véronique Gens trébuche sur une partie de soprano II qui met d'autant moins en valeur ses qualités vocales que son timbre s'efface devant celui de Natalie Dessay dans les ensembles. La colorature est au mieux appliquée, tandis que les sauts d'intervalles soulignent la fragilité des extrêmes, de graves décharnés – la comparaison avec le la bémol grave de Dessay dans le Kyrie est douloureuse – en aigus effleurés et plafonnants.
Dans le Quoniam, Topi Lehtipuu disparaît dès que son émission haute et percutante contredit le grave de sa tessiture. Dès lors, le mordant et la pâte vocale somptueuse de Luca Pisaroni passent pour un luxe inutile le temps d'un Benedictus.
C'est donc la lecture de Louis Langrée, qui propose sa propre révision de la partition, qui fait le prix de cette nouvelle gravure. Ni baroqueux, ni romantique, ni analytique, le chef français est un musicien, un mozartien libre, qu'il dirige un orchestre moderne ou, comme ici, un ensemble d'instruments d'époque.
Dans cette oeuvre émancipatrice, promesse d'une union à laquelle Leopold Mozart s'est résigné plus qu'il ne l'a accepté, à la fois défi – la messe fut créée à Salzbourg, pour ainsi dire sous le nez du prince-archevêque Colloredo – et revendication d'un héritage baroque que Wolfgang découvre à Vienne grâce au Baron Gottfried van Swieten, il fait chanter jusqu'au contrepoint, exaltant une foi libérée du goût ecclésiastique, tragique, jubilatoire, virtuose, sensuelle même.
Préparé par Denis Comtet, le choeur du Concert d'Astrée, dont cet enregistrement célèbre quasiment la naissance, révèle d'emblée la densité et l'homogénéité de sa pâte sonore, parfois un rien trop vibrée – les sol aigus des soprani dans le Kyrie –, une redoutable franchise d'attaque, d'articulation, et surtout une rare conviction.
L'orchestre d'Emmanuelle Haïm ne répond malheureusement pas au geste de Langrée avec le même mordant, manquant de vivacité et d'élan, sans compenser par une quelconque beauté sonore, finalement en retrait, ce qui achève de le disqualifier dans une Musique funèbre maçonnique sans profondeur.
Le DVD qui accompagne la version dite « de luxe » de cet enregistrement ravira les fans de Natalie Dessay, lectrice passionnée des lettres de Mozart, et agacera les autres par la vacuité des questions posées aux artistes.
Références inchangées pour la Messe en ut mineur : Fricsay (DG), Bernstein (DG), Herreweghe (Harmonia Mundi), avec une tendresse particulière pour la lecture de Michel Corboz, récemment rééditée, et couplée avec le Requiem, chez Cascavelle.
| |
|