Alcina pour l'île déserte |
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Alcina, opera seria en trois actes (1735)
Livret d'après Orlando furioso de l'Arioste
Arleen Augér (Alcina)
Eiddwen Harrhy (Morgana)
Della Jones (Ruggiero)
Kathleen Kuhlmann (Bradamante)
Patrizia Kwella (Oberto)
Maldwyn Davies (Oronte)
John Tomlinson (Melisso)
Opera Stage Chorus
City of London Baroque Orchestra
direction : Richard Hickox
Enregistrement : 1985
3CD EMI Classics 358 681 2
Ne vous laissez pas rebuter par un packaging aux vrais airs de produit dérivé Disney, cette Alcina, sommet de la discographie, non seulement de l'oeuvre, mais plus largement haendélienne, est une réédition majeure.
Quelques années avant les premiers essais de René Jacobs et Marc Minkowski, cette gravure, réalisée dans la foulée de représentations scéniques à la Christ Church de Spitalfields dans le cadre du tricentenaire de la naissance de Haendel, marqua en effet un tournant décisif dans l'approche de ce répertoire : enregistrer un opera seria archi-intégral, qui plus est sur instruments d'époque, commençait à ne plus être considéré d'une oreille méfiante comme un acte courageux, sinon barbare, réservé à quelques impétueux pionniers.
Ainsi, Richard Hickox, éclectique à la manière des chefs anglais, c'est-à -dire historiquement informé, et surtout concerné, n'était pas plus « baroqueux » en 1985 – il venait d'être nommé premier chef associé au LSO – qu'aujourd'hui. Sans doute est-ce pour cette raison même que sa lecture atteint un équilibre encore rare à l'époque – Gardiner excepté – entre la plénitude instrumentale du City of London Baroque Sinfonia et la justesse des intentions musicales, grâce à une respiration et une caractérisation idéales, et parfois même visionnaire – comme si rien, ou presque, n'avait changé en vingt ans –, de chaque aria.
Si les fastes vocaux des Sutherland, Berganza, Fleming et autre Dessay ont leurs adeptes, la distribution menée par Hickox est, autant en termes de formats que de bel canto pur – qui n'est pas, rappelons-le, beauté du timbre, mais beauté du chant, intelligence du phrasé, imagination et goût de l'ornementation – proprement renversante.
Exceptons John Tomlinson qui n'a ni la couleur, ni le souffle, ni la tessiture de Melisso, quand les nasalités mêmes de Maldwyn Davies, par ailleurs irréprochable, ajoutent à la fourberie d'Oronte. Timbre et absence de vibrato irrésistiblement adolescents, Patrizia Kwella est un Oberto idéal. Sans jamais sombrer, tasser le grave, Kathleen Kuhlmann, qui réitèrera quatorze ans plus tard, moins véloce et naturelle, dans le live de Garnier (Erato), trouve l'exacte couleur de Bradamante.
Sans facilité, mais avec quel art, Eiddwen Harrhy démontre, ni suivante, ni fée clochette, mais véritable soeur d'Alcina, que Morgana ne se limite pas au feu d'artifice de trilles et de notes piquées de Tornami a vagheggiar. Dévoilant ses attachantes raucités dès que Ruggiero s'emporte, Della Jones n'en est pas moins stupéfiante de subtilité théâtrale – ses récitatifs sont un modèle – et musicale, de tenue de ligne – Mi lusinga il dolce affetto d'anthologie –, de virtuosité et de folie ornementale, comme galvanisée par les cors déchaînés de Sta nell'ircana.
L'Alcina d'Arleen Augér, enfin, touche au sublime. Non contente de clouer l'auditeur sur place par la beauté miroitante de son timbre captant le moindre reflet de lune, la soprano américaine lui arrache des torrents de larmes dans un Ah ! mio cor ! fulgurant de vérité. Car jamais inhumaine, l'Alcina d'Augér est femme amoureuse, trompée, abandonnée avant d'être magicienne.
Malgré les appâts passés et à venir – les sortilèges de Karina Gauvin dans le rôle-titre sont dignes de plus d'un studio d'enregistrement –, cette Alcina est, et restera bien en vue sur la pile de nos disques de chevet.
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