Le combat de la carpe et du lapin |
Claudio Monteverdi (1567-1643)
Il Combattimento di Tancredi e Clorinda (1638)
Extraits du Settimo libro di madrigali (1619), Quarto scherzo delle ariose vaghezze (1624), des Scherzi musicali (1632) et Arie de Diversi (1634).
Rolando Villazón, ténor (Testo)
Topi Lehtipuu, ténor (Tancredi)
Patrizia Ciofi, soprano (Clorinda)
Le Concert d'Astrée
direction : Emmanuelle Haïm
Enregistrement : 2005-2006
CD Virgin Classics 3 63350 2
La carpe, c'est Emmanuelle Haïm, baroqueuse préférée des stars, qui ne nous a pour ainsi dire rien appris sur les oeuvres qui composent une discographie déjà riche, sinon le très rare Aci, Galatea e Polifemo de Haendel, du fait de sa rareté même. Le lapin, c'est Rolando Villazón, ténor star dont la moindre note semble désormais destinée à trouver la voie de la postérité sur CD ou DVD, et ce quel qu'en soit l'intérêt. Du mariage arrangé par leur maison de disques commune, Virgin Classics, est né Combattimento, anthologie monteverdienne regroupant des extraits du Septième livre et divers Scherzi musicali en compléments du Combat du Tancrède et Clorinde. Disque tour à tour fascinant, agaçant, surprenant, décevant, qui n'en finit pas moins par sombrer dans la monotonie.
Mais avant que d'être accusé de dénigrer à coups de préjugés par intégrisme baroqueux, prenons le temps d'argumenter. Car mieux vaut écouter que pousser des hauts cris sur l'inadéquation présumée entre la fougue souvent débordante de Villazón et le genere rappresentativo monteverdien. La couleur authentiquement latine du ténor mexicain, bien que légèrement tassée dans le grave malgré un diapason très haut, constitue en effet un véritable baume après l'insupportable Sprechgesang de Jan Van Elsacker, dernier Testo en date, dans l'enregistrement par ailleurs admirable de Françoise Lasserre.
Dès lors, comment ne pas succomber à cette pâte vocale somptueuse, à ce legato sans faille
qui, justement, est la faille ? Sans se faire l'avocat du diable en prônant l'excès inverse – ce « plus de texte que de voix » qui est trop souvent la norme dans la musique du Seicento –, il convient de s'interroger sur la pertinence d'une émission aussi constamment pleine dans le recitar cantando.
Car notre ténor chante indéniablement plus qu'il ne dit, contrariant les préceptes de Monteverdi en subordonnant le texte à la ligne vocale. Non que les mots ne soient énoncés avec suffisamment de clarté, mais leur fait défaut la variété nécessaire à l'expression « des passions de la narration », tant la déclamation paraît coulée d'un seul tenant dans le cuivre du timbre qui, aussi ardent soit-il, ne s'infléchit guère au fil des octaves du Tasse.
Le principal regret causé par cette nouvelle gravure du Combat de Tancrède tient donc finalement à ce qu'un artiste aussi doué et intelligent que Rolando Villazón n'ait pas su, voulu, ou osé – le résultat est le même – dépasser ses habitudes vocales et expressives, et n'ait pas saisi cette extraordinaire occasion de démontrer sa versatilité pour s'engouffrer dans les voies ouvertes par une émission moins rigoureusement appuyée sur le souffle, mais plus déclamatoire, sans craindre d'alléger, et pourquoi pas détimbrer certaines notes afin d'éclairer le sens en isolant telle consonne ou tel accent. Malgré quelques attaques un rien trop relâchées, Si dolce è'l tormento l'en montre d'ailleurs tout à fait capable, avant que son chant ne devienne terne, car inutilement musclé, dans Eri già tutta.
Mais sans doute eût-il fallu, pour guider les premiers pas du ténor mexicain en terres monteverdiennes, vision plus circonscrite que celle d'Emmanuelle Haïm. Car si la chef-claveciniste n'a pas son pareil pour épouser la texture des voix, elle peine à anticiper et relancer la narration, aux antipodes d'un Jacobs contrôlant la moindre inflexion. Son Concert d'Astrée n'en est pas moins de toute beauté, écrin rutilant pour la voix de Topi Lehtipuu qui, s'il n'a pas la qualité de timbre de Villazón, lui oppose une palette autrement plus variée. Quant à Patrizia Ciofi, jetons sur sa prestation caricaturale un voile aussi opaque que celui qui recouvre désormais un timbre qui fut jadis des plus ravissants.
Cette version trop confortable du Combattimento di Tancredi e Clorinda, d'une somptuosité vocale et instrumentale pour ainsi dire contreproductive, ne sera assurément pas la nôtre, mais n'en mérite pas moins notre considération, à défaut d'une chaude recommandation, pour s'avérer parfaitement susceptible, à l'instar de la curiosité réduite à une seule voix gravée par Anna Caterina Antonacci, de convertir les plus récalcitrants à ce chef-d'oeuvre singulier de la musique épique.
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