Elles étaient nombreuses et très populaires à l'époque pure et dure de la culture soviétique idéologiquement correcte, ces petites opérettes ou comédies musicales. Nous les connaissons peu en Europe occidentale, mais gageons que, même si elles ne furent pas toutes composées par un Chostakovitch, elles constituent un répertoire non dénué d'intérêt et très certainement lourd de significations multiples. Cheryomushki a néanmoins été remontée par l'Opéra de Lyon en 2004, mais dans une version un peu hybride, chantée en russe avec les dialogues en français.

Chostakovitch travaillait à sa 11^e symphonie, en 1957, lorsqu'il se mit à composer aussi cette « comédie musicale légère Â» pour le Théâtre d'opérette de Moscou. C'est surprenant, mais c'est ainsi ! Le livret est à la fois charmant, naïf, plein de messages idéologiques et politiques, riche également de révélations involontaires sur le « pays de cocagne Â» en gestation.

Plusieurs couples de jeunes gens doivent s'installer dans un quartier tout neuf, Cheryomushki, le « quartier des cerises Â», dont la modernité prouve l'efficacité du système communiste : chaque appartement aura, notamment, sa propre cuisine et sa propre salle de bain. Plus de logements communs où les sanitaires sont partagés par plusieurs familles. Miracle !

Alors, autour de ces attributions s'agitent non seulement les futurs bénéficiaires, un jeune ménage, une demoiselle très prude, très cultivée, un peu pimbêche mais fort jolie, dont la maison qu'elle partage avec son papa vient de perdre son plafond, le beau garçon dragueur et joyeux qui en est tombé amoureux au premier coup d'œil, une méchante arriviste et son mari malhonnête, un gardien corrompu, des voisins adorables et envahissants et ainsi de suite.

Tout ce petit monde parle, chante, danse, dans des décors, des costumes, et avec des coupes de cheveux plus années 1950 que nature. Tout finit bien, rassurez-vous ! Les faiblesses du régime sont gentiment critiquées, mais le catalogue de ses avantages fait sourire. Surtout, la sincérité directe de l'ensemble a une fraîcheur, un entrain, une santé dotés d'un charme indéniable auquel s'ajoute l'aspect primordial de document historique sur toute une époque qui semble déjà si lointaine, alors que dix-huit ans seulement nous séparent de la chute du mur de Berlin.

Et puis, bien sûr, il y a la musique de Chostakovitch, colorée, rapide, tonique, sentimentale quand il le faut, somptueusement orchestrée, avec une écriture vocale qui ne copie pas celle de l'opéra, mais respecte avec esprit les règles d'un genre plus léger. Un DVD à ne pas rater et à regarder les soirs de spleen pour se remonter le moral !