Voilà sans doute LA version du XXIe siècle de cette oeuvre somme toute assez marginale qu'est le Requiem allemand de Brahms. Tout y est : des choeurs à la diction limpide et à la plastique irréprochable, pas si éloignés de la perfection angélique d'Herreweghe ; le léché impeccable et somptueux des Berliner Philharmoniker, probablement inégalé dans la discographie ; la battue appliquée de Sir Simon, dans une agogique toujours fluide et jamais emphatique ; des solistes aussi révérés que Thomas Quasthoff et Dorothea Röschmann.
Malheureusement, ce dithyrambe appelle, on l'aura deviné, quelques réserves. Une principalement, mais de taille : le propos. Le Deutsches Requiem n'est pas un motet de Mendelssohn, musique au demeurant de très belle facture et d'un intérêt tout à fait essentiel, mais de tonalité plus rieuse ou du moins plus légère. Ce sont ici les Quatre chants sérieux et leur morne méditation sur la mort qui resurgissent dans une forme musicale colossale et cependant émaillée de délicatesses inspirées – Wie lieblich sind deine Wohnungen, Ihr habt nun Traurigkeit.
Or ici, signe de l'époque sans doute, l'effet l'emporte souvent sur la sobriété – la scansion de Mein Leib und Seele freuen sich dans le IV – au détriment du fond. Il faut comprendre qu'on a affaire à de la musique protestante, il faut avoir tremblé de désespoir dans la terrible marche funèbre du II pour que les portes du paradis des fugues célestes du II, III, IV et VI s'ouvrent vraiment, il faut avoir vécu tous les déchirements de l'existence avec gravité pour que la consolation promise – pas moins que dans les deux mouvements extrêmes et le V – ait un sens autre que conventionnel. Hélas, on ne quitte pas un prosaïsme, certes hédoniste et très pur, mais qui n'atteint que rarement – peut-être dans le VII – à la dimension prophétique de cet Atlas supportant le poids de la misère humaine.
On nous promet le verbe terrible de l'Ancien Testament, on nous offre le diseur certes consciencieux et investi de Thomas Quasthoff, avec par ailleurs quelques aigus un peu éclatés, mais empreint d'une Gemütlichkeit jamais épouvantée, au mieux grondeuse ; on nous vend la mélancolie très douce du V avec une Dorothea Röschmann dont l'angélisme est affaire de goût mais qui se débat avec une battue pour le coup bien nonchalante où phraser devient une épreuve difficile. Et le choeur au milieu de ses joliesses ne livre que rarement un peu de violence, de brutalité, de colère, voire même de foi autre que transparente.
Au milieu de cette perfection formelle, bien peu de ferveur affleure réellement. Transitions bâclées – zu der Zeit der letzten Posaune dans le VI –, construction parfois défaillante – Ich hoffe auf dich dans le III complètement escamoté –, refus de toute épaisseur dans le choeur – cet affreuse et inexplicable précaution pour poser le « dich » de die loben dich immerdar dans le IV – donnent au final l'impression d'une lecture bien superficielle et sans implication.
Bien sûr, les Karajan ou Klemperer n'ont jamais fait si bien sonner la partition ; mais la meilleure thérapie à l'effet désensibilisant de cette version Rattle reste sans doute de réécouter Karajan 1947 (EMI références). On trouvera là , en dépit d'un choeur tout sauf irréprochable, assez de musique, d'esprit, pour vite oublier un impeccable enregistrement d'une oeuvre qui méritait autre chose.
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