L’essence de Lady Macbeth |
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Lady Macbeth du district de Mzensk, opéra en quatre actes (1936)
Livret d’Alexander Preis et du compositeur d’après la nouvelle de Nikolaï Leskov
Vladimir Vaneev (Boris)
Vsevolod Grinov (Zinoviy)
Jeanne-Michèle Charbonnet (Katerina)
Sergei Kunaev (SergueĂŻ)
NanĂ Miriani (Aksinia)
Julian Rodescu (le Pope)
Leonid Bomstein (le Balourd miteux)
Vladimir Matorin (l’Officier de Police)
Natascha Petrinski (Sonietka)
Chœur et Orchestre du Mai musical florentin
direction : James Conlon
mise en scène : Lev Dodin
décors et costumes : David Borovski
préparation des chœurs : Piero Monti
captation vidéo : Andrea Bevilacqua
Enregistrement : Florence, 2008
2DVD Arthaus Musik 101 387
La Lady Macbeth de Chostakovitch réclame au niveau musical deux conditions sine quibus non : une prestation de fosse tout en tension, et un plateau de tronches vocales où seul le rôle-titre exige aussi une vraie ligne de chant. Et c’est sur ce point que le bât blesse dans ce DVD Arthaus, la Katerina de Jeanne-Michèle Charbonnet, pourtant remarquable comédienne, affichant toutes les tares des grands sopranos dramatiques actuels : émission molle et criarde à la fois, tout en épaisseur, aux voyelles interchangeables, aigus conquis de haute lutte, d’une dureté et d’un vibrato épouvantables.
Rappelons pourtant que le rôle se satisfait parfaitement d’un soprano lyrique bien placé – qu’on se souvienne de la féminité fragile jamais à court de tragique d’une Vichnevskaïa –, les grands dramatiques faisant généralement dans cet emploi l’impression d’éléphants dans un magasin de porcelaine.
Passé cette réserve, qui coûte à ce DVD la récompense suprême, la partie musicale est sans reproche. Décidément toujours plus impressionnant à la captation qu’en salle où sa projection reste assez limitée, Vladimir Vaneev est le grand Boris du moment, veule, suintant le vice et la méchanceté par tous les pores, sans en rajouter dans les effets ou les contorsions.
Vsevolod Grinov, qui trouve un rôle taillé à ses moyens percutants après des dizaines d’Innocents moussorgskiens où il était à l’étroit, est un Zinovy plus vigoureux, moins buffa que l’ordinaire. Le rôle y gagne ses galons de respectabilité, en s’éloignant de la caricature habituelle du simple glapisseur impuissant. De format plus modeste, Sergueï Kunaev est un Sergueï seulement lyrique et séduisant, avec parfois un léger plafonnement des moyens qui laisse présager la trahison à venir. Rien à redire non plus sur des seconds rôles excellents – Matorin, Petrinski.
Dans la fosse, la surprise est à la mesure de l’événement, l’Orchestre du Mai musical florentin exposant une santé et des timbres frappés qui font merveille. James Conlon privilégie avant tout la clarté du tissu, en jouant l’Apocalypse joyeuse, avec un sens de l’éclat, de la lumière saturée qu’on lui connaît peu. Et si la frénésie rythmique le prend parfois un rien de court – mais qui hormis Rostropovitch en son temps, et sans doute Currentzis aujourd’hui, ou Gergiev les bons soirs, a pu y échapper ? –, les cuivres et la percussion sont toujours là , bien affûtés, pour propager l’incendie.
Quant au visuel, nous sommes probablement face à la Lady Macbeth la plus recommandable comme version pivot. Ainsi, avant de se frotter à l’univers concentrationnaire, à la peinture sociale déshumanisée de Martin Kušej (DVD Opus Arte), on jugera plus sage de prendre connaissance de l’œuvre ici, dans une mise en scène plus classiquement psychologique et pourtant en rien statique.
Lev Dodin campe l’action dans le décor unique du moulin des Ismaïlov et respecte l’intrigue au cordeau, avec quelques gestes théâtraux forts, comme l’image où en écho symétrique au cadavre du vieux Boris recouvert d’un linceul à cour répond à jardin le couple Sergueï-Katerina tristement affalé sur la paillasse de fortune de sacs de farine entassés. De même, l’estrade clôturée où demeurera longtemps le corps sans vie du beau-père deviendra tour à tour lieu de décision de l’arbitraire, où l’officier de Police, dont les hommes zélés spolient les villageois, trônera toute arrogance dehors, et dans la dernière scène sinistre espace de copulation pour Sonietka et Sergueï.
On retiendra également un Balourd miteux collabo sous ses airs de benêt inoffensif, qui fouine déjà la nuit de l’adultère et joue au mariage avec la servante Aksinia pendant sa scène. Enfin, comme chez Kušej pour qui la nécessité était pourtant moins grande, le vieux bagnard a les traits de Boris, personnification fantomatique jusque dans l’enfer du bagne d’une emprise jamais libérée sur sa belle-fille.
Une excellente captation vidéo, par delà les nombreux coups d’œil des chanteurs vers le chef, un son remarquable et extrêmement équilibré – sauf pour les ambiances de salle, où l’on entend plus les bavardages intempestifs que les applaudissements – finissent de faire de ce DVD un passage chostakovien obligé.
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