L’âme de la mélodie française |
Centenaire Camille Maurane
Camille Maurane
Coffret du centenaire
Claude Debussy (1862-1918)
Pelléas et Mélisande
Camille Maurane (Pelléas)
Suzanne Danco (MĂ©lisande)
Marcel De Groot (Golaud)
Christiane Gayraud (Geneviève)
André Vessières (Arkel)
Marjorie Westbury (Yniold)
Marcel Vigneron (un berger, un médecin)
Chœur de la RTF
préparation : Marcel Briclot
Orchestre national de la RTF
direction : Désiré-Émile Inghelbrecht
Enregistrement : TCE, 29 avril 1952
Georges Bizet (1838-1875)
Le Docteur Miracle
Camille Maurane (le Podestat)
Michel Hamel (Capitaine Silvio)
Denise Boursin (Laurette)
Freda Betti (VĂ©ronique)
Orchestre national de la RTF
direction : Maurice Soret
Enregistrement : 18 février 1952
Camille Maurane par lui-mĂŞme
(Archives INA, mélodies et témoignages)
4CD RADIO FRANCE INA FRF019/22
Faut-il encore présenter Camille Maurane ? La question peut se poser, à en juger par le récent triomphe, mérité dans l'absolu, de Stéphane Degout, baryton émérite du chant français, dans le rôle emblématique de Pelléas à l'Opéra de Paris.
Cette exhumation d'archives de la Radio tombe donc on ne peut mieux, car elle met d’autant plus en lumière l'élégance dans la simplicité de ce maître de la mélodie française et du beau chant – s'il nous est permis d'employer cette expression comme versant français du bel canto –, ainsi que son épineuse relève dans l'emploi si original du personnage de Maeterlinck.
Aperçu conséquent de l'art de Maurane, ce « coffret du centenaire » rassemble l'intégralité inédite d'un Pelléas et Mélisande donné au Théâtre des Champs-Élysées pour le cinquantenaire de la création, un Docteur Miracle de Bizet, et divers compléments dont des mélodies et des entretiens.
Le premier offre, en plus du Pelléas absolu – plus idéal vocalement que Janssen, par une fraîcheur, une innocence supérieures – la sublime Suzanne Danco en Mélisande, modèle de distinction, d'intériorité, de poésie, – le duo qu’ils forment est sans égal dans la discographie – la remarquable Geneviève de Christiane Gayraud, jumelle de Mélisande comme les meilleures Brangäne le sont d'Isolde ; et si le Golaud de Maurice de Groot se perd vocalement, et malgré un Yniold détestable, l'ensemble reste d'un style exemplaire, sous la baguette d'un Inghelbrecht qui paraîtra ici plus spontané et vif qu'ailleurs.
Le reste du coffret ne fait que confirmer la leçon donnée par l'exemple : la souplesse du chant, le refus du cri, l'articulation juste et le sens des paroles, voilà les canons de ce beau chant français sans lequel sans doute la quasi-totalité du répertoire de la mélodie française n'aurait pas de raison d'être.
Au-delà de la qualité de la voix, et de cette fameuse tessiture de baryton Martin, c'est évidemment le soin apporté et au mot qu'on écoutera avec le plus d'intérêt. La limpidité de la diction est au cœur des préoccupations de Maurane, et il y a un bonheur sans nuage à goûter à chaque instant le texte avec le plus grand naturel et l'élégance la plus accomplie ; comme en témoignent ses explications sur ces sujets et sur son parcours, le son déconnecté du mot n'existe pas dans les considérations de cet incomparable mélodiste, et les couleurs vocales ne sont que le prolongement des inflexions du verbe.
Alors bien sûr, l'ampleur de la voix ne donne pas le frisson, et peut-être certaines oreilles d'aujourd'hui peineront-elles à entrer dans cet univers suranné – mais avec quel goût suprême ! Certes pas de couverture athlétique, pas d'éclats, pas d'endurance athlétique, mais une égalité de timbre par la douceur, un aigu gracieux et sans dureté, et un équilibre miraculeux entre émission spontanée et soin de la couleur – au fond une caractéristique de l’école de chant française depuis l’époque baroque, qui ignore la couverture à l’italienne.
C'est par ces qualités que ce baryton Martin prouve mieux que les ténors de la discographie que le rôle de Pelléas n'est en aucun cas écrit pour un vrai baryton : les caractéristiques opératiques tuent le personnage à chaque note qui dépasse le mi – et elles ne manquent pas –, et il n’est pas de meilleur moyen de ne pas couvrir avant le sol que d’être une voix aiguë. Le créateur Jean Périer – imposé par l’Opéra Comique pour des questions scéniques faute de ténor adéquat – n'avait-il pas obtenu de Debussy d'importants aménagements de la partition ?
Loin de discréditer les efforts des artistes d’aujourd’hui pour servir ce répertoire, puisse l’exemple de Maurane rappeler une vérité toujours menacée dans le périlleux exercice de l’art vocal : la musique française a toujours parlé au moins autant qu’elle chantait, bien avant mais aussi bien après la Querelle des Bouffons. L’oublier et sacrifier le verbe au son, c’est en quelque sorte vendre l’âme de la subtile mélodie française au gymnase grossier des prouesses vocales.
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