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SELECTION CD 26 avril 2024

Point discographique :
Les Concertos pour piano de Chostakovitch




Parfois, le hasard des parutions permet des confrontations discographiques à chaud. Ainsi, les deux Concertos pour piano de Chostakovitch auront vu au cours de ce printemps trois nouvelles sorties garnir leurs rangs, avec un constat sans appel : le chef le plus occupé de la planète Valery Gergiev ne tient pas la distance face à Okko Kamu et surtout à Teodor Currentzis.


Le 29/05/2012
Yannick MILLON
 

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     Chostakovitch : Concertos pour piano

    Denis Matsuev – Valery Gergiev



    Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
    Concerto pour piano n° 1 en ut mineur op. 35
    Concerto pour piano n° 2 en fa majeur op. 102
    Rodion Chédrine (*1932)
    Concerto pour piano n° 5
    Denis Matsuev, piano
    Timur Martinov, trompette
    Orchestre du Théâtre Mariinski
    direction : Valery Gergiev
    Enregistrement : Théâtre Mariinski, St-Pétersbourg, 2009-2010
    SACD Mariinski MAR0509




    Valery Gergiev multiplie les concerts à une cadence ahurissante depuis une vingtaine d’années, au point que le milieu musical guette avec appréhension le jour où les ennuis de santé le rattraperont. Véritable boulimique de la direction d’orchestre aux quatre coins de la planète, il ne sera bientôt pas loin de donner trois cents concerts par an. Il n’est qu’à regarder le programme des Nuits blanches de Saint-Pétersbourg, où son nom figure presque chaque jour pendant un mois, entre autres séries de concerts démentielles.

    Seulement voilà, le maestrissimo s’avère de plus en plus inégal au fil d’apparitions sommairement préparées et ses interprétations connaissent des tunnels fréquents dans des lectures chaque saison un peu plus survolées. Symptomatique de ce lissage progressif, il apparaît de loin comme le chef le moins concerné des trois qui viennent de graver les Concertos pour piano de Chostakovitch.

    À aucun moment, l’oreille n’est accrochée par une pâte sonore de belle facture mais sans aspérités, un comble quand on sait à quel point l’Orchestre du Théâtre Mariinski peut être mordant. Dans le Premier Concerto notamment, l’ironie sous-jacente disparaît au profit d’un classicisme bon teint, inoffensif, tournant le dos à l’essence même de cette partition aux allures de clown sadique.

    Le Deuxième Concerto se satisferait mieux du climat bon enfant et du pilotage automatique, mais là encore, les imprécisions de l’orchestre sont légion, et il y manque un vrai ciselage des timbres, une vraie alchimie piano-orchestre. Un vrai coup d’épée dans l’eau pour une rencontre qu’on imaginait au sommet. On retournera donc à la gravure précédente du Premier Concerto par Denis Matsuev et Yuri Temirkanov (RCA), autrement prenante.

    En complément, le Concerto pour piano n° 5 de Chédrine, dont le pianiste avait déjà gravé un excellent enregistrement avec Jansons et la Radio Bavaroise (Sony), et qui n’offre par conséquent là encore pas matière à réévaluer cette parution Mariinski bien médiocre.



     
    Andrei Korobeinikov – Okko Kamu



    Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
    Concerto pour piano n° 1 en ut mineur op. 35
    24 préludes op. 34
    Concerto pour piano n° 2 en fa majeur op. 102
    Andrei Korobeinikov, piano
    Mikhail Gaiduk, trompette
    Lahti Symphony Orchestra
    direction : Okko Kamu
    Enregistrement : Auditorium Sibelius, Lahti, Finlande, mai 2011
    CD MIRARE MIR155




    D’emblée beaucoup plus concernés apparaissent le jeune Andrei Korobeinikov et les forces du Lahti Symphony Orchestra captés par MIRARE en Finlande. Et si dans le Premier Concerto, Melnikov et Currentzis iront plus loin dans le rictus, l’ironie cinglante, cette exécution de l’ut mineur est campée d’une manière très terrienne, trapue, avec une belle vigueur rustique – une reprise du thème initial plus rapide que le premier énoncé.

    Le piano, très clair, constamment à l’écoute en bon partenaire concertant, offre de merveilleuses fusions avec les timbres de l’orchestre, en particulier les pizz – premier mouvement autour de 3’30, jubilatoire de rebond, de plaisir de jouer. Et ce toucher sait chanter dans les méandres du mouvement lent, jamais avare d’expressivité.

    Mais c’est avant tout pour ce qui reste l’une des plus belles lectures du rare Deuxième Concerto que l’on retiendra cette gravure. Dès le premier motif de basson, idéalement goguenard, on sent que l’esprit a soufflé. Le soliste, tour à tour timide, légèrement hâbleur, mais toujours d’une immense tendresse, d’une naïveté enfantine, émerveille à chaque mesure, soutenu par un orchestre gourmand, parfaitement balisé par Okko Kamu.

    Reste le cas de l’Andante, prenant ses distances avec la réserve habituelle, un peu à contre-courant de la simplicité de l’enregistrement de Matsuev-Gergiev, pour le coup bien dans la lignée de la gravure du compositeur et André Cluytens (EMI), jouant nettement plus l’hommage à Rachmaninov, avec un tempo retenu et une expressivité renforcée.

    Complément de choix, les 24 préludes pour piano op. 34 en hommage à Chopin (à ne pas confondre avec les célèbres Préludes et fugues op. 87 en hommage à Bach popularisés par Tatiana Nikolaïeva), offrent une lecture passionnante de caractérisation, dans l’esprit des miniatures sonores, loin des exercices de style stériles.



     
    Alexander Melnikov – Teodor Currentzis



    Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
    Concerto pour piano n° 2 en fa majeur op. 102
    Sonate pour violon et piano en fa majeur op. 134
    Isabelle Faust, violon
    Concerto pour piano n° 1 en ut mineur op. 35
    Alexander Melnikov, piano
    Jeroen Berwaerts, trompette
    Mahler Chamber Orchestra
    direction : Teodor Currentzis
    Enregistrement : Landshut, Berlin, déc. 2010, mars 2011
    CD Harmonia Mundi HMC 902104




    Pour conclure ce point discographique, une petite bombe. Nous avons déjà souligné la singularité du gourou helléno-sibérien Teodor Currentzis dans le paysage musical contemporain, auteur déjanté chez Alpha d’un Requiem de Mozart intégriste de rhétorique, d’un Didon et Énée au tragique étreignant et surtout d’une Quatorzième Symphonie de Chostakovitch jouée comme si l’avenir du monde en dépendait.

    On est donc heureux de retrouver au disque, cette fois dans la maison mère Harmonia Mundi, cet artiste atypique, quadra illuminé à la voix de basse inquiétante, à la gestique improbable et à l’allure de réplicant tout droit sorti de Blade Runner, dans un répertoire qu’il est l’un des rares à défendre aujourd’hui avec cette énergie suicidaire indispensable pour rendre justice à la tension musicale phénoménale irriguant tout l’œuvre-exutoire du compositeur.

    On comprend ainsi au bout de deux accords que là où Gergiev apparaît englué dans la routine, Currentzis ne s’accorde aucun confort et donne à vivre une expérience sans concession, harcelant chaque motif, chaque entrée, chaque accent pour épuiser le rythme de mécanique infernale du langage chostakovien – une entrée en matière de Premier Concerto coupante comme une lame de rasoir – poussant dans ses retranchements le piano net et sans bavures d’Alexander Melnikov mais aussi la trompette de Jeroen Berwaerts.

    Personne ne risque de s’endormir sur ses lauriers dans cette exécution qui prend à la gorge, faisant feu de tout bois avec ses attaques éclair – premier mouvement encore, à 1’40, aux cordes crépitant tout leur col legno –, son tranchant implacable, ses saillies si évidemment placées, son ironie caustique, mais aussi ses plages désertiques – Lento, où la trompette fait une entrée blafarde, terriblement désolée, à 5’.

    En comparaison, et surtout après les visions toutes de tendresse et de joie solaire de Korobeinikov-Kamu, le Deuxième Concerto apparaîtrait presque trop rigide, ne lâchant la bride à aucun moment pour ne rien perdre d’une articulation maniaque, mais au moins la vision d’ensemble est cohérente, et assumée jusqu’à la dernière pétarade de timbales, moins outrée que chez Gergiev dont c’est le seul éclat, mais autrement intégrée au discours.

    Un climat d’ensemble peu affable, pince-sans-rire dû aussi aux timbres en noir et blanc du Mahler Chamber Orchestra, volontiers moins caractérisés et colorés que ceux de l’Orchestre de Lahti.

    Au côté des concertos, un monument de la dernière période, la Sonate pour violon et piano op. 134, comptant parmi les pages les plus énigmatiques du compositeur, musique du vide, tournant sur elle-même, véritable désert émotionnel face à la mort, servie à merveille par l’archet sans complaisance d’Isabelle Faust. L’ensemble vaut assurément un Coup de cœur Altamusica.

     
    Yannick MILLON


     

  • Chostakovitch : Concertos pour piano
     


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