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SELECTION CD |
24 avril 2024 |
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SĂ©lection Palazzetto Bru Zane et La Dolce Volta |
L’Île du rêve
Reynaldo Hahn (1874-1947)
L’Île du rêve
Hélène Guilmette (Mahénu)
Cyrille Dubois (Loti)
Anaïk Morel (Oréna)
Artavazd Sargsyan (Tsen-Lee)
Ludivine Gombert (TĂ©ria)
Thomas Dolié (Taïrapa)
Chœur du Concert Spirituel
MĂĽnchner Rundfunkorchester
direction : Hervé Niquet
Enregistrement : Prinzregententheater, Munich, 2020
CD Livre Palazzetto Bru Zane BZ 1042
Vingt-sixième opéra enregistré sous l’égide du Palazzetto Bru Zane, L’Île du rêve, en trois actes ramassés d’une durée totale d’une heure tout rond, méritait de revenir sous les projecteurs. Reynaldo Hahn (1874-1947) n’a pas encore dix-huit ans lorsqu’il entreprend, avec l’aval de son maître Massenet, la composition de son premier essai lyrique autour d’un roman de Pierre Loti. Ouvrage exotique d’un compositeur nomade, écrit entre Münster, Aix-la-Chapelle, Hambourg, la côte normande, Saint-Germain-en-Laye et Londres.
Première création du mandat du nouveau directeur de l’Opéra Comique Albert Carré (1898), l’opéra sera gratifié d’une excellente distribution et de la direction d’André Messager (futur créateur de Pelléas), qui ne l’empêcheront pas d’être éreinté par la critique, plus heurtée par la personnalité du compositeur que par sa musique. Bien qu’installé à Paris depuis la tendre enfance, Hahn était en effet étranger (Allemand par son père, Vénézuélien par sa mère), juif, homosexuel – sa liaison avec Marcel Proust défraya la chronique – et dreyfusard.
On se gardera donc d’accorder trop de crédit aux reproches passablement orientés sur la « mollesse efféminée » d’une musique au beau souffle marin, délicatement orchestrée (ces cordes, cette harpe transparentes comme une eau polynésienne), d’un raffinement mélodique loin des canons du grand opéra et d’un dépaysement pas plus artificiel que celui de Lakmé ou des Pêcheurs de perles – le chœur tahitien du III vous trottera longtemps dans la tête.
On a l’impression de débarquer au milieu de l’amour impossible entre la jeune Mahénu et un officier français (une œuvre « sans commencement ni fin », selon le compositeur), plongés en deux accords dans l’air iodé de Bora-Bora et un langage proche du premier Debussy, mâtiné d’effluves de conversation mélancolique à la Eugène Onéguine, bien que le II débute par un prélude haendélien en rapport avec la bible que lit le vieux Taïrapa.
Cette « idylle polynésienne » proche de Gauguin est défendue par un Hervé Niquet à l’affût du mouvement et maître des changements d’éclairages, à la tête d’une belle distribution où, si l’on pourra ergoter sur quelques détails de diction – les nasales perfectibles de la délicieuse Hélène Guilmette, le texte un peu avalé d’Anaïk Morel, quelques phonèmes exotiques chez le ténor éblouissant de santé d’Artavazd Sargsyan – un esprit d’équipe prévaut autour de l’émission naturelle et de l’intelligibilité modèle de Cyrille Dubois. À redécouvrir séance tenante.
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Le Timbre d’argent
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Le Timbre d’argent
Hélène Guilmette (Hélène)
Jodie Devos (Rosa)
Edgaras Montvidas (Conrad)
Yu Shao (Bénédict)
Tassis Christoyannis (Spiridion)
accentus
Les Siècles
direction : François-Xavier Roth
Enregistrement : Philharmonie, Paris, 2017
Livre 2 CD Palazzetto Bru Zane BZ 1041
Premier opéra d’un Camille Saint-Saëns déjà classé parmi les symphonistes dans sa jeunesse, Le Timbre d’argent connut une genèse chaotique. Treize ans se sont ainsi écoulés entre le début de la composition (1864) et la première au Théâtre Lyrique (1877), la partition créée dans sa quatrième version, après des refontes structurelles en va-et-vient entre opéra-comique (avec dialogues) et grand opéra (avec récitatifs). Le vieux compositeur, attaché à une partition qu’il avait pourtant qualifiée de « cauchemar », la remettra deux fois encore sur le métier, jusqu’à la mouture finale de 1914 présentée ici.
On s’étonne à quel point l’œuvre est un prototype des Contes d’Hoffmann, par les mêmes librettistes Jules Barbier et Michel Carré : même héros exalté aux prises avec une influence diabolique, même ami fidèle, même danseuse qui fait tourner la tête, même univers fantasmagorique. Sans oublier la fameuse clochette qui, chaque fois qu’on l’actionne, vous couvre d’or au sacrifice d’un proche, à la manière de La Peau de chagrin. Une vaste ouverture (12 min) à mi-chemin de Berlioz et Bizet, précède 2 h 20 de musique (et quatre actes) où Saint-Saëns cherche à décloisonner l’opéra à numéros en faveur d’un geste plus continu.
Pour ce premier enregistrement mondial, le Palazzetto Bru Zane a organisé sa captation dans la foulée des six représentations d’exhumation de l’œuvre à l’Opéra Comique, en juin 2017. D’où des interactions dramatiques éprouvées par la scène. À la tête de son orchestre Les Siècles, François-Xavier Roth exalte l’ambiguïté des instruments d’époque, bois transparents et cordes minces en vibrato, campant un décor entre rêve et réalité on ne peut plus dans le thème.
La distribution, solide (les dames), pèche par une intelligibilité moyenne, notamment le chœur accentus, difficile à suivre sans le texte sous les yeux, et surtout les deux principaux rôles masculins. Timbre gris, le Spiridion de Tassis Christoyannis manque de mordant, mais c’est surtout le rôle écrasant (façon Hoffmann) de Conrad qui bute sur les limites du ténor exotique et aux aigus débraillés d’Edgaras Montvidas. Surtout lorsqu’il répond au naturel fait ténor du Bénédict de Yu Shao, qui donnerait des complexes de diction à bien des natifs, avec son émission radieuse, comme rescapée de l’âge d’or du chant français de l’après-guerre, tout en souplesse et en élégance. Pas de doute, le timbre d’argent, c’est lui.
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Brahms La Dolce Volta 3 et 4
Johannes Brahms (1833-1897)
Quatuor pour piano et cordes n° 1 en sol mineur op. 25
Quatuor pour piano et cordes n° 2 en la majeur op. 26
Quatuor pour piano et cordes n° 3 en do mineur op. 60
Geoffroy Couteau, piano
Membres du Quatuor Hermès
Enregistrement : Arsenal, Metz, 2018
2 CD La Dolce Volta LDV 62.3
Johannes Brahms (1833-1897)
Sonate pour violoncelle et piano n° 1 en mi mineur op. 38
Sonate pour violoncelle et piano n° 2 en fa majeur op. 99
Raphaël Perraud, violoncelle
Geoffroy Couteau, piano
Enregistrement : Arsenal, Metz, 2017
CD La Dolce Volta LDV 66
Pierre Monteux, qui tenait Brahms en la plus haute estime, au point de préférer sa musique au répertoire français, eut l’insigne honneur, sans réaliser la chance qui était la sienne, de jouer, jeune altiste du Quatuor Geloso, devant le compositeur, qui aurait déclaré à l’issue de la séance : « il faut des Français pour jouer ma musique correctement. Les Allemands la jouent beaucoup trop lourdement. »
Comment ne pas penser à cette déclaration devant l’anthologie de musique de chambre brahmsienne de La Dolce Volta autour du pianiste Geoffroy Couteau, déjà auteur pour le label d’une intégrale de la musique pour piano du compositeur germano-viennois ? Après le Quintette op. 34 et les Trios en 2019, les volumes 3 et 4 ont débarqué dans les bacs cet automne. D’abord les trois Quatuors avec piano, œuvres vastes, exigeant la plus grande subtilité doublée d’une belle endurance au vu de leurs proportions – le deuxième dure presque cinquante minutes.
On est frappé de nouveau par l’évidence du toucher du pianiste, jamais dans la dureté, clair et dense tout à la fois, sans tirer la couverture à ses trois partenaires issus du Quatuor Hermès. L’équilibre, la balance instrumentale sont admirables, la ligne de basse du clavier se mariant à la perfection avec celle du violoncelle. On s’étonnera dans un premier temps d’un violon aussi léger et caressant, la tradition ayant imposé une chanterelle plus charnue, avant d’admirer le lyrisme raisonné des quatre instrumentistes.
L’entrée en matière du Quatuor n° 2 se pare d’abord de teintes quasi fauréennes, dans la rêverie et la fluidité, mais dès le premier tutti, le discours s’amplifie, sans exagération, le violon s’accordant un léger portamento dans le mouvement lent, en une vision qui prend le temps de respirer sans s’alanguir, dessinant des contours tout sauf empesés – le tempo aussi risqué que grisant du Finale du Quatuor n° 1 –, et un dialogue à armes égales – le classicisme du Quatuor n° 3 et sa cellule beethovénienne du destin.
Le volume 4 associe au pianiste français son aîné Raphaël Perraud pour les deux Sonates pour violoncelle et piano. Là encore, sobriété et lumière de fin d’été, dans les pas de Schubert, sont préférées à un romantisme plus fiévreux ou noir. Jamais dans le gros son, l’interprétation tourne le dos à la sonate pour instrument à cordes avec accompagnement de piano, en un partage de la parole et des relances d’une magnifique fluidité.
La longue fréquentation du Brahms introspectif des Intermezzi op. 117 par Geoffroy Couteau transpire de la fin de l’exposition de l’Allegro non troppo initial de la Première Sonate (à partir de 2’56), juste avant une reprise d’une ineffable douceur. Portée sur l’économie et la confidence, cette interprétation ouvre de nouveaux horizons expressifs, ceux d’une musique de la proximité. Un sentiment relayé par la prise de son, dans l’acoustique idéale de l’Arsenal de Metz.
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Beethoven – Théo Fouchenneret
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano en ut majeur op. 53 « Waldstein »
Sonate pour piano n° 29 en mib majeur op. 106 « Hammerklavier »
Théo Fouchenneret, piano
Enregistrement : Arsenal, Metz, 2019
CD La Dolce Volta LDV 80
Entrer dans l’univers discographique en solo avec la Waldstein et la Hammerklavier, enregistrées par les plus grands depuis bientôt un siècle… décidément, la jeunesse n’a peur de rien. Et c’est tant mieux quand la réussite est à la hauteur du défi. Théo Fouchenneret, 26 ans, plutôt repéré dans la musique de chambre jusqu’ici, fait une entrée remarquée dans les piliers du répertoire de son instrument. Son Beethoven lumineux et viril, jamais inutilement agité, est celui d’une tête froide sachant travailler dans la gradation.
La précision ouvragée de ses croches répétées et de ses battements de tierces au début de l’Aurore, comme sur un long souffle, annonce une maîtrise de la structure à grande échelle qui jamais ne se démentira. Son clavier millimétré (un somptueux Steinway D-274), le juste poids de chaque accord, une approche de la dynamique qui ne méprise pas le murmure tout en sachant se faire d’airain, sont renforcées par une captation faisant la part belle à la richesse du grain de la table d’harmonie, au cœur de la résonance sans donner une impression trop frontale qui finirait par lasser.
L’art des transitions fascine par ailleurs chez un musicien aussi jeune – le pont entre Adagio et Allegretto moderato du même Op. 53, dont la main droite chante sans s’empêcher, dans les grands accords répétés, des effets de masse typiquement beethovéniens. Le tout avec une pédalisation qui ne se fait jamais remarquer – toujours un bon signe.
Tempi modérés, rythmique imperturbable, sens des contrastes (et ils sont fracassants dans l’Op. 106) irriguent une Hammerklavier qui sait où elle va, sans digressions ni maniérismes, jusqu’à une fugue finale en labyrinthe d’Escher, hyper maîtrisée, multidimensionnelle à en perdre les sens. La fermeté des contretemps qui referment le premier mouvement, la réactivité éclair du Scherzo sont aussi de premier calibre. Mais une grande Sonate n° 29 ne se conçoit pas sans un Adagio sostenuto d’exception. Celui de Fouchenneret, qui refuse toute dilatation excessive du tempo, est impressionnant de maturité, de force tranquille dans sa marche en avant, et gagnera sans doute en abandon avec les années.
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Debussy – Philippe Bianconi
Claude Debussy (1862-1918)
Douze Études
Élégie
Suite du Martyre de saint SĂ©bastien
Les Soirs illuminés par l’ardeur du charbon
Philippe Bianconi, piano
Enregistrement : Arsenal, Metz, 2020
CD La Dolce Volta LDV 84
Le plat de résistance du disque a beau être les deux cahiers d’Études, somme debussyste ô combien difficile à appréhender, hermétique pour l’auditeur, et que Philippe Bianconi sert avec une digitalité sans faille, on reviendra avant tout à cet album consacré au dernier Debussy pour la transcription par Caplet de la Suite du Martyre de saint Sébastien, œuvre majeure souvent décriée – à tort – pour le texte exalté de Gabriele D’Annunzio, jamais pour sa musique, alors que les deux sont inextricablement liées.
On se référait jusque-là essentiellement à la gravure d’Alice Ader pour ERATO, qui recréait d’une certaine manière l’orchestre au clavier, ce que se refuse le pianiste niçois, d’une ascèse absolue, d’un dépouillement monacal assez miraculeux, d’une pureté de textures réduisant l’harmonie à sa substantifique expression. Preuve que les grands chefs-d’œuvre, même privés de leurs atours, ne perdent rien de leur densité dans le plus simple appareil.
Un lien est tissé avec les pièces les plus mystiques de l’Abbé Liszt, qui ouvre un vaste espace méditatif dès les accords parallèles qui introduisent La Cour des Lys, d’un calme olympien, pulsation inexorable et balancement hypnotique d’une indicible poésie. La Chambre magique dans ses habits pianistiques évoquerait plutôt une musique de cinéma muet, éclairage fascinant à une époque comme celle de la création du Martyre, en 1911.
Trop sérieux, analytique, en manque d’après-plans dans les Études, trop concret dans Les Soirs illuminés par l’ardeur du charbon, pièce minimaliste écrite par un Debussy mourant en remerciement d’une livraison de la précieuse matière pour se chauffer durant le dernier hiver de la Première Guerre mondiale, Philippe Bianconi marque de son empreinte la discographie du Martyre au clavier.
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| Yannick MILLON
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