Testament expressionniste |
Richard Strauss (1864-1949)
Elektra, tragédie en un acte (1909)
Livret de Hugo von Hofmannsthal d'après Sophocle
Astrid Varnay (Klytämnestra)
Leonie Rysanek (Elektra)
Catarina Ligendza (Chrysothemis)
Hans Beirer (Aegisth)
Dietrich Fischer-Dieskau (Orest)
Josef Greindl (Der Pfleger des Orest)
Carmen Reppel (Die Vertraute)
Olga Varla (Die Schleppträgerin)
Christopher Doig (Ein junger Diener)
Kurt Böhme (Ein alter Diener)
Colette Lorand (Die Aufseherin)
Kaja Borris (Erste Magd)
Axelle Gall (Zweite Magd)
Rohangiz Yachmi (Dritte Magd)
Miklana Nikolova (Vierte Magd)
Marjorie Vance (FĂĽnfte Magd)
Rolf Boysen (Agamemnon)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Karl Böhm
réalisation : Götz Friedrich
décors : Josef Svoboda
costumes : Pet Halmen
+ DVD bonus :
Ob ich die Musik nicht höre ? Sie kommt doch aus mir
Documentaire de Norbert Beilharz
2 DVD Deutsche Grammophon 00440 073 4095
Pour ce second essai straussien – après une Salomé très péplum par le même Götz Friedrich –, la firme Unitel s'est assurée le concours de légendes de la scène lyrique. Leonie Rysanek, qui a fait rayonner pendant presque trente ans la jeunesse et l'ardeur maternelle de Chrysothémis sur les scènes du monde entier, aborde pour la seule et unique fois de sa carrière le rôle-titre le plus épuisant du répertoire, folie qu'elle ose pour Karl Böhm.
L'engagement phénoménal, la présence incendiaire, sont au service de ce qui reste peut-être l'Elektra absolue, la plus complète – vingt ans plus tôt, Varnay excellait plus encore dans le registre monomaniaque mais n'avait pas ces moments de doute, de féminité – et la plus éblouissante quant à la performance vocale – une ampleur et une facilité inimiginables, des aigus incandescents, une palette dynamique fascinante.
On est heureux de retrouver aussi Astrid Varnay dans l'un de ses rôles de prédilection, jalon de sa seconde carrière de mezzo, pour une Clytemnestre proprement monstrueuse, intraitable, sans les failles si touchantes du personnage, mais avec une autorité à faire froid dans le dos – l'appui sadique sur les consonnes, les aigus dont le vibrato accentuent le côté ruiné, moribond de la reine insomniaque. Et contrairement à tant d'autres, l'Américaine chante toutes les notes écrites.
Face à ces bêtes de scène comme de chant, la Chrysothémis un peu droite de Catarina Ligendza reste un peu dans l'ombre, alors qu'en Oreste, Dietrich Fischer-Dieskau délivre comme à chaque fois une leçon. Les rôles secondaires ont fait l'objet d'un casting de luxe – les moyens stupéfiants des cinq servantes ; le vieux serviteur de Kurt Böhme ; le vétéran Josef Greindl en précepteur d'Oreste.
La direction toujours aussi essentielle de Karl Böhm – 86 ans et très diminué en ce printemps 1981 qui sera son dernier – semble arriver légèrement trop tard. Mais l'orchestre reste incomparable et certains moments d'un impact terrifiant, même si la battue, en raison du déclin physique du vieux maestro, s'est considérablement alourdie et ralentie depuis la gravure dresdoise de 1960.
Reste la vision expressionniste de Götz Friedrich, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'épargne en rien les chanteuses. Devant l'air tantôt hagard tantôt possédé de Rysanek, on songe souvent à l'Exorciste de William Friedkin, devant le grotesque assumé et les allures de pélican psychotique de Varnay, on pense aux outrances de Satyricon.
Les décors de Josef Svoboda, aux teintes futuristes de métal bleuté dont saura s'abreuver le cinéma d'un James Cameron, ce palais glacial, soviétique, au milieu de ruines qu'on croirait issues de la Dresde de février 1945, cette stylisation fellinienne des personnages secondaires ont été magistralement transférés sur support numérique, sans la moindre pixellisation, sans bavure des couleurs dans les déplacements rapides de caméra, avec un piqué d'une définition exemplaire.
Tout aussi indispensable, le DVD bonus avec les 92 minutes du documentaire de Norbert Beilharz, véritable making-of qui permet de suivre le cheminement de pareil projet cinématographique, et surtout de voir à l'œuvre des artistes dont ne nous restent le plus souvent que des témoignages auditifs.
Qu'il est émouvant de voir Böhm quitter sa demeure viennoise pour la Sofiensaal en déclarant à la caméra : « Voyez comme je chancelle ! », d'assister aux répétitions et séances d'enregistrement du Philharmonique de Vienne ; de voir Rysanek répéter le rôle au piano, l'enregistrer en se faisant attraper sur la justesse par un Böhm intraitable, puis devant la caméra travailler jusqu'à l'épuisement, les cheveux collés au visage après s'être roulée dans la boue ; de voir aussi Varnay enregistrer la fin du monologue de Clytemnestre en battant pour elle la mesure, avec une détermination qui en dit long sur l'exigence technique et musicale des tragédiennes de l'après-guerre.
Et malgré toutes les réserves que l'on pourrait formuler sur une réalisation souvent primaire – les sutures du montage, le lipsing rien moins que crédible –, cette Elektra reste un document de première importance, magistralement réédité et couronné comme il se doit par un immense Coup de cœur Altamusica.
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