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CRITIQUES DE CONCERTS |
16 octobre 2024 |
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Reprise de la Chauve-Souris mise en scène par Coline Serreau à l'Opéra Bastille, Paris.
Une bien petite Chauve-Souris
Mary Dunleavy (Adele), Brigitte Hahn (Rosalinde), William Joyner (Eisenstein).
Controversée dès sa première en 2000, la Chauve-Souris de Johann Strauss mise en scène par la cinéaste Coline Serreau, aux mécanismes théâtraux pourtant efficaces, fait souvent l'effet d'un pétard mouillé, d'autant qu'elle est servie cette année par une petite distribution qui peine à se faire entendre dans l'immensité de Bastille.
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On a déjà tout dit ou presque sur la Chauve-Souris de Coline Serreau à Bastille. Sa lecture sociale et historique, axée sur la notion de vengeance – Die Rache einer Fledermaus –, peut se défendre même si elle ne convainc pas pleinement. On a constamment l'impression que la réalisatrice nous lâche une bombe entre les mains et se sauve en courant, pour nous faire découvrir que la bombe n'en était pas une – cf. le ruban porté à bout de bras par les convives lors du Brüderlein qui finit en une croix gammée, mais presque invisible du parterre. Toutefois, le spectacle est bien pensé et régi, avec des chorégraphies amusantes intégrant parfaitement smurfeuses et breakeuses.
On passe un bon moment, même si le rapprochement aujourd'hui presque systématique entre l'opérette des opérettes et une pseudo nostalgie prémonitoire du fascisme finit par casser les pieds. Mais la conception de Coline Serreau est tellement plus cohérente et respectable que l'imposture scatologique et débile de Neuenfels et Mortier à Salzbourg en 2001 que l'on ressort de la salle nettement moins en pétard que notre collègue Gérard Mannoni à la première du spectacle en 2000.
Dans la fosse, la silhouette dégingandée et le geste presque hystérique du jeune Vladimir Jurowski font de prime abord une drôle d'impression. Mais au bout de deux secondes, le trouble s'évapore au profit d'une absolue fascination pour une manière de diriger Strauss dans la lignée de Carlos Kleiber. L'ouverture est un modèle d'inventivité, de ressources dynamiques, de rubato parfaitement dosé, sans jamais entamer le bon goût ou la pulsation naturelle du Roi de la valse, avec en prime un hautbois à la sonorité typiquement viennoise.
Direction stylée
Contrairement à celui de Minkovski à Salzbourg, ce Strauss a du style, de la classe. Le premier acte entier est traversé par la grâce, avec quelques moments d'exaltation grisants – la coda du Trio Nein, mit solchem Advokaten – alternant avec certaines mises en route en accelerando tenues de main de maître – O je, o je, wie rührt mich dies ! Passé l'entracte, le miracle s'évanouit au profit d'une lecture simplement solide et bien sonnante, comme un champagne privé de ses meilleures bulles. Gageons que le jeune Russe négociera mieux sa remontée sur le podium pour les prochaines représentations.
Quant à la distribution, le moins que l'on puisse dire est qu'elle serait nettement plus à l'aise dans une salle à taille humaine. Un ouvrage comme la Chauve-Souris ne devrait jamais quitter les petites salles pour lesquelles il a été conçu.
Des voix perdues dans les cintres
Bonne surprise, l'Adele de Mary Dunleavy est mutine à souhait, avec son timbre très « couleur locale », même si l'aigu n'est pas un modèle de rondeur. Brigitte Hahn, qui avait déclaré forfait en Rosalinde pour la première – les annulations sont en passe de devenir une tradition à Bastille – était remplacée au pied levé par Dagmar Schellenberger, à l'émission complètement en arrière, inaudible même quand l'orchestre joue piano.
William Joyner est un Eisenstein à la belle ligne de chant, nous confortant dans l'idée que le rôle – un peu hybride de tessiture – sied nettement mieux à un ténor. Gordon Gietz est un bon Alfred, même si la fraîcheur de sa technique limite la souplesse de ses roucoulades. Dans le difficile rôle d'Orlofsky, Béatrice Uria-Monzon est obligée de grossir son émission mais sa prestation reste honorable.
On oubliera par contre très vite les laideurs vocales d'Andrew Schroeder en Dr Falke, qui assassine le fameux Brüderlein avec une technique et une musicalité de dinosaure. Le grand vainqueur de la soirée est le Frank d'Andreas Scheibner, le seul à rendre parfaitement justice à son rôle, avec une vraie science de la diction viennoise, et un timbre de baryton d'opérette, légèrement vert, à la Erich Kunz ou à la Walter Berry, qui sont un véritable bonheur.
Prochaines représentations les 13, 15, 18, 19, 22, 24, 26, 29 décembre, 12, 15, 21, 24, 27, 29 janvier, 1er et 3 février.
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Opéra Bastille, Paris Le 02/12/2003 Yannick MILLON |
| Reprise de la Chauve-Souris mise en scène par Coline Serreau à l'Opéra Bastille, Paris. | Johann Strauss II (1825-1899)
La Chauve-Souris, opérette en trois actes
Livret de Carl Haffner et Richard Genée, d'après Le Réveillon de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
Choeurs et Orchestre de l'Opéra national de Paris
direction : Vladimir Jurowski
mise en scène : Coline Serreau
décors : Jean-Marc Stehlé et Antoine Fontaine
costumes : Elsa Pavanel
éclairages : Geneviève Soubirou
préparation des choeurs : Peter Burian
Avec :
William Joyner (Gabriel von Eisenstein), Dagmar Schellenberger (Rosalinde), Andreas Scheibner (Frank), Béatrice Uria-Monzon (le Prince Orlofsky), Gordon Gietz (Alfred), Andrew Schroeder (Dr Falke), Andrzas Jäggi (Dr Blind), Mary Dunleavy (Adele), Bernard Alane (Frosch), Jeanne Tremsal (Ida).
A partir du 22 décembre, le spectacle sera dirigé par Rudolf Bibl, le rôle de Rosalinde chanté par Adina Nitescu et Orlofsky par Ursula Hesse von den Steinen. | |
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