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ENTRETIENS 26 avril 2024

Contre la spécialisation
© Marc Ginot

Le baryton Vincent Le Texier

Vincent Le Texier est aujourd'hui sur le devant de la scène lyrique dans le domaine de la création contemporaine, qu'il a servie pour la troisième fois cette année dans la création de l'oratorio Saül de Flavio Testi. Portrait d'un ancien plasticien qui a abandonné sa carrière d'enseignant pour se consacrer au chant et qui refuse la spécialisation dans le domaine lyrique.
 

Le 30/10/2003
Propos recueillis par Françoise MALETTRA
 



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  • Après Il Prigioniero de Luigi Dallapiccola à Nancy en Février, la création mondiale de La Frontière de Philippe Manoury à Orléans en octobre, vous endossez, le même mois, le rôle titre de Saül, l'oratorio de Flavio Testi, donné, lui aussi, en création mondiale, à la Maison de Radio France. L'année 2003 aura vu la musique contemporaine prendre visiblement une place de plus en plus importante dans votre carrière. Est-ce que c'est là une volonté déterminée de votre part ?

    En réalité, cette place, elle l'a depuis toujours. Des expériences comme Tristes Tropiques et Hamlet Machine de Georges Aperghis, ou Teresa de Marius Constant, sont irremplaçables, car elles répondent exactement à une nécessité impérieuse de créer la musique de mon temps, de me situer en accord avec elle, d'être au plus près des intentions des compositeurs, et de résoudre des questions de technique et d'interprétation souvent complexes, en ayant la chance d'engager avec eux un vrai dialogue. Dans La Frontière de Philippe Manoury, par exemple, la partition électronique et le dispositif de l'orchestre, placé des deux côtés d'une scène centrale, faisaient que la voix était parfois prise en étau, et qu'il fallait dominer de fortes valeurs sonores pour donner à entendre le texte, et surtout lui donner tout son sens. Dans ce cas là, seule une relation de proximité avec le compositeur peut nous faire saisir ce qui est réellement en jeu. C'est la même chose pour Saül, que nous donnons en version de concert, mais où Flavio Testi a prévu des indications scéniques extrêmement précises pour les différents rôles, ce qui permet une incarnation du personnage très affinée.

     

    Vous semblez considérer qu'au-delà de la voix, de la pure performance vocale, la préparation scénique pour une oeuvre contemporaine requiert une intensité que l'opéra de répertoire n'offre pas toujours aux chanteurs.

    Vous savez, j'ai été très marqué par mon travail avec Peter Brook au moment des Impressions de Pelléas de Marius Constant aux Bouffes du Nord, il y a dix ans. Pour moi, il y a un avant Brook et un après Brook. Avec lui, j'ai compris ce qu'était la vérité d'une interprétation, où se situait la limite entre cette vérité et son masque. J'étais porté, par ma nature, à trop jouer, et même à surjouer. Et il me fallait toujours être attentif à ce que l'acteur ne prenne pas le pas sur le chanteur, et réciproquement. Je crois maintenant avoir trouvé cet équilibre. Mais je reste vigilant.

     

    A cette passion pour la musique contemporaine, il y a un risque : celui de passer dans le camp des spécialistes, aux yeux de la profession et peut-être du public, même si Scarpia, Golaud, Don Giovanni, ou Méphisto ont visiblement pour vous les mêmes priorités. Vous en êtes conscient ?

    Je refuse la spécialisation. Je veux chanter Puccini, Debussy, Mozart, Manoury, Wagner
    Comment imaginer ne pas être Scarpia, un des rôles de ma vie ? D'autant que plus on avance, plus on a l'intuition de ceux qui compteront très fort pour toujours. Comment oublier, en 1988, mes débuts dans Golaud à Moscou, puis à Leipzig, deux villes dans lesquelles Pelléas n'avait jamais été donné ? J'en ai ressenti une joie immense et une grande fierté.

     

    Nous allons faire un court arrêt sur l'image, pour rappeler que la musique n'était pas au départ votre première vocation, puisque vous vous destiniez aux arts plastiques. Que s'est-il passé ?

    J'avais en effet passé le concours d'agrégation, et j'ai enseigné pendant cinq ans. En même temps j'avais commencé à étudier le chant qui me fascinait depuis longtemps. Alors que j'étais stagiaire à Grenoble, j'ai passé un autre concours, mais cette fois c'était celui du Conservatoire de la ville, où j'ai appris à développer ma technique, et là c'est devenu une passion totale. J'ai pris ensuite une année sabbatique pour entrer à l'Ecole d'Art Lyrique de l'opéra, et à l'issue de cette première année, j'ai démissionné du ministère. Il faut savoir que pour revenir dans l'enseignement, il faut repasser le concours, car vous n'êtes plus reconnu. Mais pour moi la décision était prise, nette et définitive. Et ça m'a fait un bien fou.

     

    Est-ce qu'il y a chez vous, dans la matérialité d'une production, une approche scénique qui doit beaucoup à votre formation de plasticien ?

    Bien sûr, car la peinture ne m'a pas quitté pour autant. Elle est simplement entre parenthèses, pour des raisons évidentes d'emploi du temps. Mais je rêve de chanter dans une production dont j'aurais réalisé la scénographie, et pourquoi pas la mise en scène. La manière dont les choses apparaissent avec justesse dans la peinture est très proche de ce que je recherche sur scène. C'est la même libération physique. Une façon de faire circuler les énergies sans trop d'analyse ou d'introspection. Il faut laisser la transformation s'opérer naturellement en vous. Quand il s'agit de rôles surdimensionnés, comme je les affectionne, il faut entrer dans leur folie, dans leur noirceur, dans leurs passions les plus extrêmes, mais en se gardant bien d'en faire des caricatures. Sinon on passe à côté, le public le sent immédiatement, et c'est souvent sans appel.

     

    Vous adorez le lied, la mélodie. Et c'est vrai que le récital reste un moment rare de mise à nu de la musique et de l'interprète. Mais pensez-vous que là aussi, on puisse faire évoluer scéniquement la forme ?

    J'en suis certain. Il y a quelques années, à la Maison de la Culture de Bourges, j'avais chanté La Belle Maguelonne de Brahms dans une mise en espace de Jean-Luc Brisson, avec la comédienne Nelly Borgeaud en récitante. C'était magique. J'aime ce travail collectif, ce croisement entre les artistes. Ce qui est très rarement le cas à l'opéra où il y a un trop grand cloisonnement des compétences. On en arrive à ce qui se passe dans le monde des sciences, où les scientifiques eux-mêmes finissent par ne plus se comprendre entre eux. Pourquoi ne pas faire collaborer étroitement sur un plateau des plasticiens, des vidéastes, des hommes qui ont une vraie vision à faire partager. Prétendre que le public n'est pas prêt pour une telle évolution est une réponse paresseuse, et pour moi irrecevable.

     

    Répondez-moi franchement : vous sentez-vous en mesure aujourd'hui de dire « oui » à un projet, même s'il émane d'un lieu moins prestigieux qu'une grande maison d'opéra, même si les moyens financiers sont très serrés, ou de dire immédiatement « non » à une proposition, aussi alléchante soit-elle ?

    C'est en tout cas pour moi le but à atteindre pour ce que j'appelle une carrière bien conduite. C'est toujours un moment délicat, souvent difficile, mais il faut le dépasser. Je dois choisir des rôles dans lesquels je peux largement m'exprimer. Si je reste sur ma faim, ça ne marche pas. Et c'est totalement à l'opposé de ce que je suis.

     

    Le 30/10/2003
    Françoise MALETTRA


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