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ENTRETIENS 24 avril 2024

La fausse histoire d'amour d'Otello
© Eric Mahoudeau

Le metteur en scène Andrei Serban

L'Opéra Bastille propose en ce moment même une nouvelle production d'Otello de Verdi avec Vladimir Galouzine dans le rôle-titre et dans une mise en scène d'un habitué de Verdi, Andreï Serban. L'occasion pour Altamusica de rencontrer un metteur en scène qui voit dans le chef-d'oeuvre verdien une histoire d'amour seulement présente dans l'imagination des protagonistes.
 

Le 10/03/2004
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • L'intrigue d'Otello est l'une des plus connues de tout le répertoire. En outre, presque tout le monde a sur les différents personnages des idées reçues. N'est-ce pas le premier écueil à affronter quand on met en scène cet opéra de Verdi ?

    C'est un écueil plus facile à affronter que s'il s'agit de monter une nouvelle Traviata ! Sans vouloir me transformer en donneur de leçons, je crois pour affirmer que de toutes les pièces de Shakespeare, Othello est celle qui a été victime du plus grand nombre de malentendus. Il est vrai que l'on aborde toujours l'oeuvre et notamment l'Otello de Verdi avec des clichés. On croit en particulier que c'est une histoire romantique, animée par une sorte de Méphisto qui détruit ce qui pourrait être une belle histoire d'amour. Je trouve que ce n'est ni exact ni intéressant.

     

    Quelle est votre vision du drame ?

    Ce n'est pas une histoire d'amour telle qu'on l'imagine et Iago n'en est pas le personnage principal comme on le pense généralement. Il y a du Iago dans Othello lui-même avant que Iago existe. C'est en fait l'histoire d'un homme qui a en lui tous les germes de la jalousie, de l'amour de soi, de la peur de l'amour. J'espère le montrer clairement dès le premier acte, avant que Iago n'intervienne vraiment. Il suffit pour expliquer cela de se référer à Shakespeare et au premier acte de la pièce qui n'existe pas dans l'opéra de Verdi. Othello y apparaît comme un guerrier qui vient d'une autre culture. Il devient catholique pour s'intégrer dans la culture blanche la plus sophistiquée du monde à l'époque, mais aussi la plus décadente et la plus perverse. Il veut être accepté dans cette société dont il sait qu'elle a besoin de lui car c'est une super star de la guerre. Othello est un être à la fois très pur et très vaniteux, venant d'une culture où la virilité est dominante. L'homme, surtout le guerrier, a plusieurs femmes pour le servir. Si à Venise, il choisit pour épouse une femme de la plus noble origine et non pas n'importe quelle belle fille, ce qui serait dans la logique de sa culture, ce n'est pas un hasard. C'est un peut comme si, débarquant aux Etats-Unis, il épousait directement une femme du clan Kennedy. Il vise au plus haut.

     

    Cela vous fait mettre en doute l'authenticité de son amour ?

    On ne s'interroge jamais là-dessus. Il n'est pas malhonnête, mais en même temps il se fait une idée idéale de l'amour sans rien y connaître. Il ne sait rien de Desdémone non plus. En outre, chez Shakespeare, une heure après le mariage, il est déjà parti pour la guerre. Le mariage n'est donc pas consommé. On ne pense jamais à cela non plus. Quand l'opéra commence, ils se retrouvent à Chypre. Desdémone est alors une jeune fille très sophistiquée, pas bête du tout comme on le croit. Elle est très pure mais intelligente. Elle est tombée amoureuse de ce héros noir, vieillissant mais quand même séduisant. Cela me fait penser à l'histoire de O.J. Simpson, en Amérique : une belle blonde tombe amoureuse d'une super star de la télévision qui est aussi un grand sportif, et voilà le résultat !

     

    Comment expliquez-vous sa relation avec Cassio et le fait qu'elle ne soupçonne à aucun moment la jalousie d'Othello ?

    Ce n'est pas du tout une relation amoureuse. Ils se connaissent depuis l'enfance et ont été élevés ensemble. Ils ont la même éducation, la même culture et le même sens de l'humour. Elle se sent bien avec lui car ils s'amusent ensemble. Elle a avec lui une complicité qu'elle ne peut en aucun cas avoir avec Othello. De quoi vouez-vous qu'elle discute avec lui ? Avec Cassio, en revanche, elle a mille souvenirs. Mais le plus important est de bien se rappeler qu'au début de l'opéra, lorsque Iago commence à semer le trouble en faisant boire Cassio, le mariage n'est toujours pas consommé. Desdémone est toujours vierge. Dans le duo d'amour, la musique est d'une beauté absolue et d'un romantisme total, mais si vous regardez bien le texte du livret, vous constatez qu'ils ne parlent pas du présent mais seulement du passé et d'un passé illusoire. Il lui dit qu'elle l'aimait pour ses victoires et parce que il était d'une race vouée à l'esclavage. Elle lui dit qu'il l'aimait pour sa beauté. En fait, ils ne connaissent rien l'un de l'autre, ce qui voue dès le départ leur amour à l'échec et n'en fait qu'une illusion. Ce grand guerrier qui a très peur de ne pas être acclamé et applaudi comme un chef n'a dans la vie aucune éducation sentimentale. En bonne catholique, elle sera fidèle et soumise à son mari, même si elle se sent mieux avec Cassio, ce que perçoit Othello et que lui rappelle sans cesse Iago.

     

    Dans ce contexte, quel est alors le vrai rôle de Iago ?

    C'est quelqu'un d'intelligent et de malin, un bon observateur des moeurs humaines. Il connaît Othello mieux que celui-ci ne se connaît lui-même. Il sait qu'il est très fragile et joue de cette fragilité. Le grand Credo, qui n'est pas dans Shakespeare, est presque comme un manifeste brechtien : je suis conscient de ce que je fais, j'observe les faiblesses des hommes et je les mets en évidence. Le feu qu'il allume prend en une seconde lors de la visite des ambassadeurs de Venise. Alors, Othello traite Desdémone de putain, se comportant brusquement comme il se comporterait spontanément avec n'importe quelle femme qui attenterait à sa gloire, à sa dignité de conquérant. Il redevient lui-même car il se sent fragilisé. D'ailleurs, pourquoi Ludovico, l'ambassadeur vénitien, vient-il demander à Othello de revenir à Venise sinon parce qu'on n'a plus besoin de lui ? Othello se sent alors tellement seul et humilié qu'il décide de tuer Desdémone. Et finalement, au dernier acte, il se sent trahi aussi par le Dieu chrétien auquel il se s'était converti. Quand il entre, il éteint sa bougie pour faire le noir, signe qu'il renonce à la lumière de la croyance chrétienne, il arrache sa croix, crache dessus et se revêt du costume des Talibans pour incarner la justice impitoyable de Mohamed. Je pense que ça doit être assez frappant ! Voilà quelle est mon analyse de la pièce, celle d'une fausse histoire d'amour, d'un amour qui n'a pas de réalité, qui se passe seulement dans l'imagination des héros.

     

    Le 10/03/2004
    Gérard MANNONI


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